Années 90. Une petite ville de l’est de la France désertée industriellement.
Le chômage, la résignation, la débrouille, la téloche, Intervilles, les boulots au black, pour beaucoup le rêve de partir ailleurs, certains chanceux décrochent de petits emplois au riche Luxembourg voisin.
Anthony a 14 ans, un oeil de traviole, un père aimant mais alcoolique, une mère qui s’ennuie, supporte et couvre, Anthony a des difficultés au collège.
On va suivre Anthony durant quatre étés. Il va découvrir la réalité de sa vie et de son avenir probable, tuer son ennui et sa rage dans le cannabis et l’alcool, se faire casser la gueule, faire ses premières expériences sexuelles, tomber amoureux de Steph, fille d’un notable, amour impossible, école privée/école publique, rêves pourtant identiques, les deux s’attirent et se repoussent, à peine 16 ans et ils se résignent déjà à leur condition respective. Belle description de la distinction des classes sociales, toujours tellement d’actualité, çà se croise mais ne se mélange pas.
Le destin d’Anthony et celui de Steph seront passionnants, de ce point de vue en plus de leur personnalité. Ceux de tous les autres personnages également. C’est un vrai page-turner, on ne veut plus quitter les personnages, on vibre pour eux.
« Leurs enfants après eux », c’est une odyssée sociale foisonnante, une plongée réaliste dans la vraie vie, c’est le désarroi et les joies de cette petite ville, les bars remplis, les jalousies, les petits trafics de drogue, les jeux d’arcade, la glande sur les places vides les après-midi de canicule, les voyages et aventures au lac voisis, les fiestas dans les baraques des ados riches où on s’incruste, les barbecues au lac pour les plus pauvres, les enterrements des ex-salariés des hauts-fourneaux qui ont fini alcooliques, les adultes résignés et les jeunes, paumés, qui se coulent dans leur destin ou se surpassent pour s’extraire, de façon légale ou non.
C’est le récit vrai d’une époque, tant sur le plan économique que sur le plan sociétal, une immersion totale dans les 90’s vécues par les quarantenaires dont je suis (encore un petit peu !), c’est Kurk Cobain, les rêves, les Beach Boys, la Mano Negra, les Gauloises, les ZUP, les 205, le Picon-bière, les fêtes foraines, le début des zones commerciales, les jambons-beurre et les scooters, les feux de camp, la coupe du monde qui réunit et met en transe. On sent que l’auteur a vécu cette époque et ce qu’il décrit, la post-industrialisation, qu’il est fier d’avoir fait partie de ce monde, j’ai pressenti un grand amour pour l’être humain dans l’écriture de Nicolas Mathieu, et puis une capacité d’analyse extrêmement fine, bref un superbe regard. Cela rend l’immersion très profonde et vraie et les personnages magnifiques, quels que soient leurs défauts ou leurs choix.
Nicolas Mathieu croque admirablement les petites gens comme les élus ou notables ambitieux, sans jugement, avec beaucoup de tendresse. Il nous raconte là, du point de vue humain, le point de jonction entre la société industrielle et celle de la consommation, c’est original, vrai et très intéressant. De la sociologie mêlée d’histoires de vie, le combo que je préfère en littérature, quand en plus la plume est entraînante et naturelle, çà en fait un coup de coeur.
J’ai beaucoup apprécié la jolie nostalgie qui se dégage de ce roman, mais surtout, surtout que le récit ne tombe pas dans la dénonciation, la prise de positions voire l’engagement politique, Nicolas Mathieu s’en garde bien, il raconte juste, la seule mission selon moi d’un écrivain, c’est parfait et bien plus percutant, et surtout çà fait du bien, dans notre drôle de société actuelle où tout le monde (enfin beaucoup…) donne son opinion sur tout sans qu’on lui demande.
Je me demande comment j’ai fait pour passer à côté de ce prix Goncourt 2018 depuis tout ce temps. Son dernier roman qui vient de sortir, » Connemara », est déjà acheté, bing, et va être vite dévoré.