C’est un tout petit bouquin, paru aux Éditions La Dépêche de Cherbourg, en 1989. Une pépite qui n’est plus éditée, dénichée par hasard dans ma bouquinerie-salon de thé [au fondant au chocolat et thé fumé à tomber à la renverse et à te faire devenir addict aux pics de glycémie (le mémoranda à Caen)] normande préférée, il y a quelques mois lors d’un bien trop rare passage dans ma région.
44 pages, illustrées de quelques photos inédites du poète ou de ses trésors, comme cette photo d’Arletty dédicacée, « vive le lierre, en souvenir de Jacques…« , d’autres photos inédites de Jacques Prévert entouré de sa famille et de ses amis, dont faisait partie l’auteur, Gérard Fusberti.
Gérard Fusberti a longtemps été antiquaire Place des Vosges à Paris. Mais il a commencé humblement, dans un ancien hôtel-restaurant dans cet endroit perdu du Cotentin, cher à mon coeur, Goury, dans la Hague. Prévert y avait séjourné dans les années 30, et adoré l’endroit.
Dans les années 60, le voilà qui débarque à nouveau dans le Cotentin. En famille, il rejoint son frère Pierre, venu se reposer dans la Hague de son voyage en Chine pour le tournage de « les cerf-volants du bout du monde ». Vivent dans la Hague des amis du monde du ciné, les Rakz, premiers à avoir crée en France un studio de doublage, et Alexandre Trauner, le décorateur de cinéma, le grand ami de Jacques Prévert, enterré près de lui dans la Hague, dans ce tout petit cimetière, à deux pas de la maison du poète, je leur rends visite chaque fois que je vais faire un tour à la maison de Prévert, si simple, si calme, si belle.
Mais quand en 1966 Jacques Prévert débarque à nouveau à Goury avec sa femme Janine et sa fille Minette, il ne sait pas que le lieu n’est plus un hôtel mais un magasin d’antiquités.
Qu’à celà ne tienne, les chambres sont là et Gérard Fusberti accueille avec joie le grand homme et les siens, hop, à la bonne franquette.
Une grande amitié va naître entre Gérard et Jacques Prévert, qui durera jusqu’au décès du poète, en 1977.
Dans ce livre, Gérard Fusberti raconte son ami, qu’il fréquenta ardemment puisque Jacques Prévert acheta une petite maison juste à côté, où il mena une vie simple jusqu’à sa mort. On découvre le caractère du poète, son oeil observateur terrible, son humour noir mordant, son tempérament fougueux mais réservé.
On se régale des souvenirs confiés par le poète à Gérard, on y croise Lacan, Marcel Carné, Arletty, Marlène Dietrich, François Mauriac et Aragon, Calder, Miro et Picasso, ami intime, Gabin, ami de picole, Dali, qu’il détestait et dont il écrira sur le livre d’or d’une de ses expos : « Si tous les cons étaient dans la malle, Salvador Dali ne serait pas assis sur le couvercle ! » 🤣
Gérard Fusberti aimait tellement Jacques Prévert qu’il a continué à entretenir et développer son jardin après sa mort, car il savait à quel point son ami aimait son jardin.
En 1989, avec l’accord de Janine, sa veuve, qui vit toujours à l’époque dans la petite maison en pierre dans ce bel hameau perdu, il l’a ouvert au public. On découvre d’ailleurs dans ce livre Janine, sacrée femme, ex-danseuse classique gravement blessée, qui a dû renoncer jeune à sa carrière de danseuse, quittant la zone libre et son mari durant la guerre pour remonter à Paris et servir la résistance.
Chaque ami du poète a planté un arbre ou une plante dans ce jardin, en hommage au poète décédé. A l’occasion de cette ouverture du jardin au public, Gérard Fusberti a écrit ce petit livre qui raconte son ami. Il nous en dresse un portrait inédit, drôle et intime, nous projette dans des années truffées de bonheur, de joie, d’insouciance et de créa, les années 60 et 70, c’est un régal de nostalgie de s’y plonger, pour moi d’autant plus que ce sont là mes racines…quelle émotion de me dire que mes grands-parents, mes parents, peut-être moi, enfant, ont croisé ceux-là, en goguette au port de Goury, à la terrasse d’un café dans la Hague, en balade dans les dunes de Biville, en pêchant la crevette, en rando sur le sentier des douaniers…tous ces lieux où je fonce, où j’ai besoin d’aller dès que je vais en Normandie et où je rêve de pouvoir vivre un jour.
44 pages magiques qui m’ont fait marcher dans les chemins de mon enfance et dans la vie de mes aïeux qui eux aussi s’étaient installés là-bas pour un dernier tiers de vie, précieux petit livre qui jamais ne quittera ma bibliothèque.
Si vous passez un jour dans ce bout du monde du Cotentin, ne manquez pas de visiter la petite maison de Jacques Prévert et son merveilleux jardin entretenu par son ami, Gérard Fusberti. Cette marque d’amitié est une des plus belles qui soit…
Maison et Jardins de Jacques Prévert, 50440 Saint-Germain-des-Vaux
Jacques, Janine, Minette.